CONTER AVEC ZOOM : le récit d'une aventure


Raconter devant un écran n'est pas chose facile mais elle est intéressante et je n'aurais jamais eu l'occasion de le faire sans ce confinement.

Depuis le 24 mars, au rythme de quatre à cinq fois par semaine, je conte par Zoom, pour les enfants de 3 à 6 ans et pour le tout public à partir de 7 ans.

Bien qu'appréhendant un peu le contact à travers un écran, je préférais être en lien avec un public, même virtuel, plutôt que de diffuser mes contes enregistrés sans public.

 J'ai fait un premier essai, en invitant des petits-neveux et nièces et quelques autres enfants pendant deux ou trois séances. Puis le cercle s'est très vite agrandi, grâce au bouche à oreille en ligne !

Avant d'ouvrir le Zoom, je me prépare comme pour mes spectacles de contes dans la "vraie vie": choix des contes en fonction de l'âge, mémorisation, respirations, petites vocalises, exercices de concentration etc. Je passe, ensuite, à mon petit rituel d'installation : préparer la pièce et l'endroit où je conte dans les meilleures conditions d'écoute et d'éclairage, prendre le matériel nécessaire : un bâton de pluie pour l'ouverture de la racontée, la liste des enfants et des adultes pour pouvoir dire bonjour à chacun.e et un verre d'eau si besoin, attacher mes cheveux et me mettre un petit coup de rouge à lèvres et enfin ouvrir la réunion, mes lunettes sur le nez et accueillir le public.

 

 

"Histoires, réveillez-vous !"

Au fil des séances, c'est devenu un rendez-vous attendu par toute une communauté de gens venant des quatre coins de la France et même d'autres pays. Certain.e.s se retrouvant , parfois sans se l'être dit à l'avance, ce qui provoque des rencontres sympathiques et étonnantes, tous se saluant et se parlant comme ils pourraient le faire à l'entrée ou à la sortie d'une salle de spectacle. Une façon de se rapprocher dans l'éloignement que chacun.e vit. Se retrouvent : fratries (cousin.e.s, grands-parents, oncles ou tantes), ami.e.s, connaissances mais aussi ami.e.s d'ami.e.s, voisins voisines, enseignantes ou psychologues venues partager ce moment avec un élève ou un enfant suivi en thérapie, adultes sans enfants et enfin conteurs et conteuses !

Il y a cette petite fille, fidèle auditrice, qui à chaque fois que je termine les contes, lance à la volée, dès qu'elle a rallumé son micro : "C'est quand la prochaine fois ? ". Il lui faut de suite la réponse. Sa manière à elle de rester reliée dans le temps à ce rendez-vous.

Au-delà du conte, ce qui m'intéresse, même si les gens ne sont pas là "en chair et en os", c'est ce lien qui se tisse entre tous.

 

Parfois de l'inattendu est au rendez-vous comme cela nous arrive souvent en spectacle : une séance "tout public" où sont présents, ce jour-là, (presque) uniquement des adultes et trois enfants dont une plus petite que l'âge prescrit ! Au dernier moment, je décide donc de raconter ce conte aux adultes présents. Et à la fin, la petite me dit : "Je n'ai pas tout compris, ce dont je me doutais, elle n'était pas dans sa tranche d'âge !

 

Échanger avant et après le conte est un élément essentiel de ma démarche. De plus en plus à l'aise, gérant mieux le temps et la technique, je suis devenue plus rigoureuse au fil des séances ! J'ouvre la réunion 10 minutes avant pour que l'on ait le temps de se dire bonjour. Je démarre à l'heure pile et je n'ouvre plus le zoom aux retardataires. Mais il se trouve que plus personne n'arrive en retard, sauf exception, car les participant.e.s, petit.e.s et grand.e.s, ont envie de se saluer avant que le conte démarre. Avec les premiers arrivés, on échange quelques nouvelles. Il m'arrive de présenter des gens les uns aux autres mais quand il y a plus de monde, je laisse faire les "bonjours", les "Oh ! il y a untel ou unetelle".

De même, après le conte, on rallume les micros, et on laisse place aux applaudissements, aux "bravos" "merci" "au revoir" et parfois à quelques mots sur les contes.

Dans cet espace écran, je sais que les auditeurs et auditrices me voient en gros plan, visage et haut du torse, mais moi je me perçois au milieu de petites vignettes où apparaissent plusieurs visages : une sensation étrange d'être parmi les gens mais en dehors de leur sphère. Ce qui est très particulier, c'est de rentrer, un peu, chez les gens. Il y a des enfants installés avec leurs parents ou seul.e.s sur un canapé, dans leur chambre, dehors dans leur jardin ou sur leur terrasse, des adultes à leur bureau, etc..Les corps sont présents mais on peut juste les ressentir et non les sentir ni les toucher.

Quand je commence à raconter, je regarde en direction du public même si je vois un peu flou, ayant quitté mes lunettes afin d'éviter les reflets à l'écran. A l'ouverture du Zoom, dès que je suis en contact avec les gens, je ne prête plus attention à mon image reflétée par l'écran. Puis, quand je commence à conter, j'oublie l'aspect froid et distant de l'ordinateur et fais le travail pour que les images et les sensations évoquées par le conte puissent traverser l'écran et atteindre ceux et celles qui m'écoutent.Cela me demande une grande énergie et mes expressions de visage sont amplifiées, comme un gros plan caméra au cinéma muet.

Pour ce qui est des mouvements, je dois veiller à ne pas faire de gestes brusques qui sinon seront floutés et perturberaient la vision. Alors, parfois, rapidement d'un coup d'œil, je contrôle mes mouvements dans ma petite vignette et les ralentis.

Petit à petit, j'arrive à distinguer, même sans lunettes, un visage qui sourit, un enfant qui saute en l'air, certain.e.s calé.e.s sur leurs sièges, d'autres qui s'affairent ou jouent suivant leur âge, des plus âgée.e.s qui se laissent bercer et s'assoupissent !

 

En ce qui concerne le son, c'est très étrange car, pendant le conte, je n'entends pas directement les réactions, les micros étant fermés, mais, à travers le visuel, je perçois les brefs échanges entre ceux et celles qui m'écoutent. Je me sens aujourd'hui assez libre pour tenter des expériences : Une fois, j'ai osé tenter de reprendre la randonnée que je venais de raconter, lorsque les micros se sont rallumés, avec tout le monde. C'était un peu cafouillis mais bien sympathique !

 

Étrange impression d'être le petit corps d'une araignée au milieu d'une toile qui se tisse, se tisse et s'agrandit autour de moi. Comme on dit "la toile" en parlant du cinéma.  

J'ai pris l'habitude, après le Zoom, d'enregistrer chaque racontée et de faire un montage rapide pour celles et ceux qui n'ont pas pu écouter jusqu'au bout, qui ont eu des coupures internet ou qui veulent réécouter le conte.Je leur envoie alors le conte mais uniquement l'audio car il me semble important que pour une ré-écoute ce soit la parole conteuse qui l'emporte sur le visuel.

J'ai reçu, régulièrement, des messages mails ou sms me remerciant pour cette initiative ou me disant le bien que cela fait à tel ou telle enfant, d'habitude agitée.s, qui restent sans bouger à écouter le conte ou le plaisir qu'éprouve un adulte. Et la cerise sur le gâteau : Lucie 3 ans improvisant un conte à la fin d'une séance .

Réflexion pour la suite...

Même si un partage, lors de ces racontées, entre le public et moi-même est bien réel, malgré l'écran, j'ai bien conscience que cela ne remplace, en aucun cas, un "vrai" rapport au public présent "en chair et en os". J'ai tenu à dire aux gens qui m'écoutent "que cette façon de faire ne remplaçait en rien le spectacle vivant mais que cela nous a permis de rester en lien, tout en s'évadant un moment grâce aux contes, dans cette période particulière".

Durant le deuxième confinement

Claire Péricard,  à la demande des enfants eux-mêmes, a continué à transmettre des contes de son répertoire, durant le confinement de novembre dernier pour les petit·es et les grand·es.

Les fidèles du premier confinement sont revenu·es et de nouvelles personnes se sont jointes à nous. Mais conter derrière un écran est un acte inhabituel, lié aux circonstances, qui ne doit pas faire oublier que le spectacle vivant, le "vrai" c'est un artiste face à un public en chair et en os !